La tour d'introspection (Shimizu) - 3 continents

*** FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2021 ***





LA TOUR D’INTROSPECTION (1941/Hiroshi SHIMIZU/Japon) 100ans Shochiku

Les tribulations amusées d’un camp de redressement pour adolescents, aux allures de colonie de vacances maoïste, dans le Japon d’avant guerre. Le film débute comme un documentaire de propagande, où le directeur fait un tour du propriétaire suivi de près par des parents et leur vilain rejeton, dortoir par dortoir, atelier par atelier, classe par classe, avec une voix off sentencieuse.

Les enfants récalcitrants sont confiés à des « mères » en charge de leur surveillance, et à des professeurs en charge de leur éducation. Chishu Ryu (égérie d’Ozu) est l’un de ces professeurs charismatiques, vu quelques fois à peine en plan moyen, dans ce film essentiellement construit en plans larges. Les indociles sont invités à faire une autocritique public (à la Mao), ils s’y prêtent volontiers ayant pourtant été insupportable et indomptable dans la scène précédente. « L’introspection » du titre.

La critique est unilatérale cependant : seuls les enfants sont gangrenés de défauts (vol de nourriture, mensonge, morsure, bagarre, évasion...), les éducateurs sont des modèles de vertu (mise à part une gifle donnée, aussitôt regrettée). Sans doute due au matériel de l’adaptation, issu des mémoires d’un directeur de maison de redressement. Le centre de rééducation idyllique de Shimizu, rappelle la clinique de La Borde du psychiatre Fernand Deligny, ouverte dans un cadre champêtre, sans clé aux serrures, baignée de bienveillance.

Cette atmosphère reflète un système patriarcal incontesté où seuls les hommes siègent au conseil administratif, où les garçons sont attelés à des épreuves de force, tandis que les filles font la lessive ou servent le repas, chacun de leur côté. Zéro de conduite, pourtant antérieur, montre en France une facette moins favorable des tortionnaires, comme dans Les 400 coups qui partage cette fougue indomptable de la jeunesse et la répression sans merci des adultes.

De magnifiques panoramiques agrémentent des plans d’ensemble embrassant plusieurs plans de perspective. Aussi on aperçoit Masao détaler dans un champ, traverser un verger, dévaler une pente, avant d’être rattrapé au collet par un éducateur face à la voie ferrée… en un seul plan séquence pivotant depuis une colline avoisinante.

Dès qu’un enfant disparaît, tous les autres se relaient à travers l’immense propriété pour héler au secours et faire une battue géante, comme un élan de solidarité instinctif. Même scénario lorsqu’une (vraie) mère rend visite, le bruit court à vive allure par des bouches en porte-voix qui se répètent à l’infinie.

On retrouve l’humour puéril des enfants chez Ozu. Les uns dénoncent les autres auprès des « mères » quand faute est commise. Il y a vol de soks, de riz, de sot d’eau, de chaussures. Il y a rivalité entre filles, entre garçons, entre fille et garçon. La vie est rude, les ventres ont faim, les yeux mouillent et les lits aussi, les pieds ont hâte de déguerpir…

Quand vint la sécheresse, le puit manqua d’eau et un grand projet commun ressouda l’esprit d’équipe. Après avoir tenté une noria humaine entre la rivière et les baraquements. Après un houleux débat en conseil d’administration. Tout un chacun fut mis à contribution pour l’excavation d’un canal jusqu’à une distante source. Plus une parole, mais une succession de scènes de labeur intensif, de souffrance, de partage, de franche camaraderie, à déplacer des rochers et des tas de terre. Quelle joie lorsque l’eau fuse, dévalant la pente, piétinée par des enfants remplis de fierté.

Le film se clôt sur la cérémonie de remise de palmarès des sortants, chacun récitant une ultime autocritique accompagnée d’une devise le ou la caractérisant, avant de tous ensemble sonner la cloche de la tour d’introspection. Cette même cloche qui fit revenir au bercail deux fuyards, tel un réflexe Pavlovien.


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Ce film était accompagné de deux autres films de Shimizu : Monsieur Merci (1936) et Pour une épingle à cheveux (1941) dans le cadre de la rétrospective des 100 ans de la Shochiku, projetés sur bobines film 16mm avec le doux son du projecteur et les changements de bobines à l’ancienne.




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