L'immensité intime (Bachelard)

L'immensité est, pourrait-on dire, une catégorie philosophique de la rêverie. Sans doute, la rêverie se nourrit de spectacles variés, mais par une sorte d'inclination native, elle contemple la grandeur. Et la contemplation de la grandeur détermine une attitude si spéciale, un état d'âme si particulier que la rêverie met le rêveur en dehors du monde prochain, devant un monde qui porte le signe d'un infini.
Par le simple souvenir, loin des immensités de la mer et de la plaine, nous pouvons, dans la méditation, renouveler en nous-mêmes les résonances de cette contemplation de la grandeur. Mais s'agit-il vraiment alors d'un souvenir? L'imagination, à elle seule, ne peut-elle pas grandir sans limite les images de cette immensité? L'imagination n'est-elle pas déjà active dès la première contemplation? En fait, la rêverie est un état entièrement constitué dès l'instant initial. On ne la voit guère commencer et cependant elle commence toujours de la même manière. Elle fuit l'objet proche et tout de suite elle est loin, ailleurs, dans l'espace de l'ailleurs.
Quand cet ailleurs est naturel, quand il ne se loge pas dans les maisons du passé, il est immense. Et la rêverie est, pourrait-on dire, contemplation première. [..]

Dans cette voie de la rêverie d'immensité, le véritable produit, c'est la conscience d'agrandissement. Nous nous sentons promus à la dignité de l'être admirant.
Dès lors, dans cette méditation, nous ne sommes pas " jetés dans le monde " puisque nous ouvrons en quelque sorte le monde dans un dépassement du monde vu tel qu'il est, tel qu'il était avant que nous rêvions. Même si nous sommes conscients de notre être chétif - par l'action même brutale dialectique - nous prenons conscience de la grandeur. Nous sommes alors rendus à une activité naturelle de notre être immensifiant.
L'immensité est en nous. Elle est attachée à une sorte d'expansion d'être que la vie refrène, que la prudence arrête, mais qui reprend dans la solitude. Dès que nous sommes immobiles, nous sommes ailleurs ; nous rêvons dans un monde immense. L'immensité est le mouvement de l'homme immobile. L'immensité est un des caractères dynamiques de la rêverie tranquille. [..]
Gaston Bachelard, La Poétique de l'espace, 1957, (chapitre VIII)

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