CCC Généalogie (1960-2021)

 



Voici la Généalogie du Cinéma Contemporain Contemplatif. 14 ans plus tard, je remets à jour l'Updated Genealogy Chart de novembre 2007. Il y a quelques changements, mais remarquablement, le principe reste le même. J'ai conservé la structure en strates verticales (de A=Réalité à H=Installation) qui permet de distinguer les sous-catégories du mode contemplatif. Et chaque strate a sa généalogie verticale propre, avec Lumière pour socle commun. J'ai fait le tri dans les précurseurs, et dans les contemplatifs aussi. On voit bien que le mode narratif minimaliste (discursif) est isolé du reste, de part son usage du langage, son besoin de message dialogué. 


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Aux travers des multiples facettes du cinéma contemporain se dessine une veine de films distinctive, fascinante, radicale et minimaliste… les films contemplatifs. Ni une école, ni un mouvement, ni un genre, ni un style… cette famille de cinéma est un mode narratif minimaliste, une esthétique transnationale convergente non-concertée.

Quand bien même leurs films sont associés, ces réalisateurs, dit « contemplatifs », ne proviennent pas de la même école de cinéma, sous la tutelle d’un même mentor… Ils n’habitent pas la même ville, ni le même pays… Donc on ne peut affirmer que leur manière de travailler si particulière fût engendrée par l’université, l’ADN ou l’esprit d’une culture nationale unique.

Beaucoup accueillis dans les festivals internationaux qui leurs décernent des places de choix. Chéris par une niche de cinéphiles avertis qui s’y reconnaissent et leurs sont fidèles. Ces films proviennent des quatre coins du monde et ne semblent pourtant pas partager d’affinités a priori. Il est cependant crucial de former une famille esthétique (de fortune) pour mieux comprendre leur place dans l’histoire du cinéma, tout en respectant l’individualité de leur filmographie respective.

Courage et abnégation sont essentiels pour percer dans une niche si peu lucrative. Si la plupart des cinéastes qui sortent des écoles de cinéma aujourd’hui ont des motivations populaires et mercantiles, pour plaire au plus grand nombre et faire des entrées, comme à Hollywood… les cinéastes qui choisissent la vocation du cinéma contemplatifs s’engagent dans une voie ardue, sans financement, sans public et sans gloire. On ne s’aventure pas par hasard le long du sentier contemplatif. Il faut reconnaître à ces artistes l’humilité, l’ascétisme et la confiance en soi.

Cette forme de cinéma est née spontanément, faisant fi des frontières politiques, des barrières de la langue, des tendances contemporaines… Une émulation ralentie mais progressive. Et si existent des précurseurs notoires dans le paysage cinématographique qui a vu naître ce nouveau procédé narratif minimaliste, qui ont pu influencer la génération des contemplatifs, l’émulation fut principalement véhiculé par la sélection ouverte et provocatrice des festivals internationaux.

Ces précurseurs peuvent être comptés parmi Flaherty, Cavalcanti, Ruttmann, Ivens, Epstein, Sauvage, Vigo à l’âge d’or du cinéma muet, sans oublier bien sûr les frères Lumières et leurs opérateurs. Le Néoréalisme italien promettait des horizons neufs avec la rupture d’un carcan narratif contraignant. Le Cinéma Vérité annonçait une liberté de tournage dans la rue et une verisimilitude accrue. Le Cinéma Moderne, quant à lui, inspiré de l’existentialisme ambiant, déconstruisait la conduite du récit, et la psychologie des personnage. Ces mouvements stylistiques de référence, sont bien entendu à l’origine du vivier contemplatif, du moins dans l’esprit. Sa forme fonctionne plutôt comme un retour aux sources des « vues photographiques animées » Lumière.

Le premier film contemplatif de l’histoire que l’on voit apparaître en marge de la Modernité, est sans doute « L’île nue » du japonais Kaneto SHINDÔ, sorti le 23 novembre 1960. Sans un mot tout du long, on suit la vie tragique d’une famille isolée sur une île pelée, sans eau potable. La caméra distanciée les attend, les observe, et ne donne à voir au spectateur qu’un extérieur froid des personnages. Un prototype inouï dans la forme et le fond, alors que le monde entier continuait de produire des films narratifs conventionnels.

D’autres prototypes viendront, à l’autre bout du monde, aux États-Unis. Le 17 janvier 1964, c’est le fameux Andy WARHOL qui fabrique à The Factory une installation extraordinaire : Plus de 5h d’un homme qui dort – John Giorno – sur un même film, lors d’une même séance, c’est « Sleep ». Et récidive avec 8h d’une vue immobile de l’Empire State Building, « Empire », montrée le 6 mars 1965. Un jeune Frederick WISEMAN, transforme son premier film en un coup de maître, avec « Titicut Follies », sorti le 28 septembre 1967, puis interdit de projection pendant 24 ans… Et enfin, après quelques courts métrages tournés à New York (comme WARHOL), c’est en septembre 1973 que Chantal Akerman montre son premier film, « Hôtel Monterey ».

En Iran, Abbas KIAROSTAMI, filme des courts métrages contemplatifs pour la Kanoun, dès 1970 : « Le Pain et la rue », « La récréation », « Expérience »…

Et en France, c’est le psychiatre Fernand DELIGNY qui s’essaie au cinéma (aidé par Josée Manenti & Jean-Pierre Daniel) avec un film d’un nouveau genre, « Le moindre geste », qui fait sa première au festival de Cannes 1971. Filmé entre 1962 et 1964, suivant une ligne d'erre, lorsque Yves Guignard, un jeune autiste, acceptait de se prêter au jeu, autour de la clinique ouverte de La Borde, en Cévennes.

Ces quelques prototypes sont suffisants pour inaugurer une nouvelle génération de cinéma, qui perdure de nos jours. Il apparaît clairement que cette tendance est plurielle, qu’elle ne prend pas naissance à une même source. C’est un mouvement mondial (pas uniquement occidental, ou européen) comme l’avait pu être celui de Tercer Cine dans les années soixante.

Shindo n’a opté pour ce mode qu’à une seule reprise, pour ce film unique. Le coup d’éclat de WARHOL demeure dans le domaine du happening expérimental, de l’installation pour galeries d’art. Et DELIGNY n’a jamais développé ce procédé au-delà, de ce premier film insensé.

Dans ce contexte disparate d’une naissance multinationale et solitaire, ne reste que WISEMAN, KIAROSTAMI et AKERMAN, qui passeront une carrière à prolonger et peaufiner ce mode minimaliste à travers de multiples œuvres contemplatives.

WISEMAN développera un style personnel en réinventant le documentaire, observationnel, immersif, au cours d’une trentaine de films, un regard extérieur, tous sans commentaire off, sans narration, avec des plans toujours plus long.

KIAROSTAMI, l’un des plus important cinéaste de l’histoire, qui nous a quitté en 2016, aura accompli une œuvre magistrale, partant de débuts purement contemplatifs, pour s’en affranchir dans un narratif plus parlé tout en conservant ce minimalisme typique, revenant occasionnellement au contemplatif (Five, Shirin, Sleepers).

AKERMAN va offrir au monde, un manifeste contemplatif inoubliable qui n’est plus un prototype – Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles – en première à Cannes, le 14 mai 1975. Ce film va a lui-seul révolutionner le cinéma, et pas uniquement le cinéma feministe. Une influence qui courra sur nombre de cinéastes en devenir.


Comments

BenoitRouilly said…
Graphique mis à jour (coquille corrigée)