Perception de la beauté cinématographique (Merleau-Ponty)
"Quoique le cinéma n'ait pas encore produit beaucoup d'ouvrages qui soient de part en part œuvres d'art, quoique l'engouement pour les vedettes, le sensationnel des changements de plan, ou des péripéties, l'intervention des belles photographies ou celle d'un dialogue spirituel soient pour le film autant de tentations où il risque de s'engluer et de trouver le succès en omettant les moyens d'expression les plus propres au cinéma – malgré donc toutes ces circonstances qui font qu'on n'a guère vu jusqu'ici de film qui soit pleinement film, on peut entrevoir ce que serait un tel ouvrage, et l'on va voir que, comme toute oeuvre d'art, il serait encore quelque chose que l'on perçoit. Car enfin ce qui peut constituer la beauté cinématographique, ce n'est ni l'histoire en elle-même, que la prose raconterait très bien, ni à plus forte raison les idées qu'elle peut suggérer, ni enfin ces tics, ces manies, ces procédés par lesquels un metteur en scène se fait reconnaître et qui n'ont pas plus d'importance décisive que les mots favoris d'un écrivain. Ce qui compte, c'est le choix des épisodes représentés, et, dans chacun d'eux, le choix des vues que l'on fera figurer dans le film, la longueur donnée respectivement à chacun de ces éléments, l'ordre dans lequel on choisit de les présenter, le son ou les paroles dont on veut ou non les accompagner, tout cela constituant un certain rythme cinématographique global. Quand notre expérience du cinéma sera plus longue, on pourra élaborer une sorte de logique du cinéma, ou même de grammaire et de stylistique du cinéma qui nous indiqueront, d'après l'expérience des ouvrages faits, la valeur à donner à chaque élément, dans une structure d'ensemble typique, pour qu'il s'y insère sans heurt. Mais, comme toutes les règles en matière d'art, celles-ci ne serviront jamais qu'à expliciter le rapports déjà existants dans les œuvres réussies, à en inspirer d'honnêtes. Alors comme maintenant les créateurs auront toujours à trouver sans guide des ensembles nouveaux. Alors comme maintenant le spectateur éprouvera, sans en former une idée claire, l'unité et la nécessité du développement temporel dans une œuvres belle. Alors comme maintenant l'ouvrage laissera dans son esprit, non pas une somme de recettes, mais une image rayonnante, un rythme. Alors comme maintenant l'expérience cinématographique sera perception."
Lire aussi :
- Fabrique du temps / Représentation du temps
- Grande Syntagmatique (Metz) / Temps et récit (Ricœur) / Regarder (Desgoutte)
- Cinema 1 : Image-Mouvement / Cinema 2 : Image-Temps (Gilles Deleuze, 1983-85)
- Le temps scellé (Andrei Tarkovski; 1989)
- Turbulence and Flow : The Rhythmic Design (Yvette Biró, 2007)
- Digital Temporal Magnitude (Williams)
Comments
"The weather seal (Andrei Tarkovsky, 1989)"
Do you have any more information about this? I tried to Google for it but I'm not sure what is it is (a book? a film?)
Thanks
The book is known as "Sculpting in Time" in English ;)