Masterclass par Tarr Béla

L'expression « film-monde », toute galvaudée qu'elle soit, est la plus à même de rendre compte du cinéma de Béla Tarr. Car ses films se voient moins qu'ils ne s'habitent et ne se vivent.
Chez Béla Tarr, j'ai suivi un troupeau de vaches qui sortaient de l'étable, je suis entré dans une baleine qui me fixait d'un œil mort. J'ai marché, longuement, j'ai parcouru des visages comme si c'étaient des paysages, et inversement. J'ai eu froid, j'ai été mouillé jusqu'à l'os par des pluies diluviennes. J'ai senti la terre et je m'y suis enfoncé. Je me suis réfugié dans des cafés, j'y ai dansé et bu, et au Titanik Bar, j'ai senti la catastrophe qui vient. En voyant ailleurs un ballet d'ivrognes qui tournaient sur eux-mêmes en suivant le mouvement des planètes, j'ai touché du doigt que toute solitude, toute misère et tout désarroi sont d'ordre cosmique. J'ai senti la pulsation sourde de l'univers, ce swing secret et lancinant qui fait que ces films sont « si proches du vrai rythme de la vie », comme l'a dit Gus van Sant, dont la vision des films de Tarr a à jamais transformé le cinéma.
Les films de Béla Tarr se vivent, se rêvent, s'interprètent aussi, comme la philopoésie de Nietzsche. Pas étonnant que son dernier film, Le Cheval de Turin, prenne comme point de départ ce moment où devant un canasson martyrisé, le philosophe a basculé dans la folie (pour s'intéresser en fait à l'animal et à son maître…). Comme la langue de Nietzsche, les films de Béla Tarr ne s'explicitent pas, et ne comptez pas sur lui pour vous mâcher le travail en en donnant les clefs (si clefs il y a) : le cinéaste vous fait confiance pour vous débrouiller tout seul, ce n'est pas si souvent…
Voir un de ses films est une expérience au sens propre, l'écouter en parler en est une tout aussi saisissante. Probable moment rare que cette leçon de cinéma !


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