Fabrique du temps

Le cinéma, art du temps

Les films adorent jouer avec le temps, l'éclater, le ralentir ou l'accélérer. Pour notre plus grand bonheur, le cinéma voyage dans le temps. Traversée du temps jouissive ou Jour sans fin cauchemardesque, le 7e art décompose le temps, machine toute-puissante capable de nous replonger dans le passé ou de nous propulser dans un avenir lointain.
Le cinéma recompose le temps à sa guise, pour nous faire éprouver sa durée ou le suspendre. Michelangelo Antonioni, le temps d'une Eclipse, ou Gus Van Sant (Elephant) expérimentent, prouvant la richesse infinie du cinéma en ce domaine, imposent une "image-temps", pour reprendre l'expression de Gilles Deleuze. Le philosophe voyait dans Citizen Kane le premier grand film d'un cinéma du temps, la construction en flash-back permettant de faire coexister différentes "nappes de passé".
Deux autres grands cinémastes du temps sont fortement présents dans le cycle. Alain Resnais, pour son incessant voyage entre réel et imaginaire (L'Année dernière à Marienbad), mémoire et présent (Muriel, Hiroshima mon amour) ; et Luchino Visconti, cinéaste du temps décomposé, attaché à l'histoire et aux traces qu'elle laisse sur ses personnages (Mort à Venise, Senso). [..]


Le cinéma nous invite à l'épreuve du temps et de la durée, à travers une autre temporalité. Chantal Akerman, Gus Van Sant, Michelangelo Antonioni sont les cinéastes qui nous convient à une expérience inédite, une autre façon de ressentir le temps quotidien.

L'éloge de la lenteur

Chantal Akerman filme la répétition des mêmes gestes qu'effectué inlassablement Jeanne Dielman. "Inutile de préciser que n'importe quel spectateur ressentira l'écoulement lent et meurtrier du temps littéral qui ne cesse de se dérouler sous nos yeux. Cette image nous plonge dans une sorte de profondeur cinématographique qui, soudain, transforme radicalement toutes les modalités temporelles associées jusqu'alors au fait de regarder un film." Gus Van Sant a vu le film de Chantal Akerman et Eléphant est un remake américain de Jeanne Dielman. Le cinéaste filme lui aussi la banalité du quotidien, celle de la violence qui surgit dans le temps suspendu ou ralenti d'une chronologie qui invente sa logique propre. Antonioni fut le filmeur des errances urbaines, de ce temps de l'attente opposé au rythme trépidant et vain d'une société de plus en plus matérialiste.

Cet éloge de la lenteur au cinéma contraste avec l'accélération de nos vies, soumises à une exigence de vitesse et de simultanéité toujours plus grandes. La vitesse est, paraît-il, le signe du progrès et de la modernité. À l'écran, l'adrénaline sauve la donne quand une course-poursuite à toute allure est une question de survie, pour échapper à un chauffeur psychopathe (Duel de Spielberg) ou désamorcer une bombe (Speed de Jan de Bont). Mais dans nos villes réelles, les pauvres humains que nous sommes aimeraient bien ralentir la ville, suspendre un temps le rythme qui nous pousse à aller plus vite, afin de gagner du temps sur le temps. [..]

Muriel Dreyfus

La fabrique du temps, cycle de projections au Forum des Images (Paris), du 1er décembre 2010 au 24 février 2011.

Parmi les films projetés : Dolls (Kitano); Farrebique (Rouquier); El Sol del membrillo (Erice); Symphonie paysanne (Storck); Kasaba (Ceylan); Le Bonheur (Varda); Tokyo Monogatari (Ozu); A Time To Live and A Time To Die (HHH); Je t'aime, je t'aime (Resnais); What time is it there? (Tsai); L'Eclisse (Antonioni); Jeanne Dielman (Akerman); Duel (Spielberg); Elephant (van Sant); La Captive du désert (Depardon)...


Entretien avec Etienne Klein 
15 décembre 2010 (forumdesimages) 2'37"

L’un des spécialistes du temps en physique, Étienne Klein dirige le Laboratoire de Recherche sur les Sciences de la Matière au CEA. Également philosophe, ce chercheur curieux et charismatique est le parrain exceptionnel du cycle "La fabrique du temps".

Rencontre : Etienne Klein dialogue avec François Jullien (15 décembre 2010)

Etienne Klein, parrain du cycle, rencontre François Jullien, philosophe et sinologue, auteur notamment de "Du temps. Eléments d'une philosophie du vivre" (2001) et "Les transformations silencieuses" (2009). François Jullien interroge notre façon occidentale de considérer le temps à la lumière des conceptions orientales : le dieu Chronos, faucille dans une main et sablier dans l'autre, découpe le temps en moments se succédant dans un courant irréversible. Pour les chinois, le temps est un ensemble d'ères, de saisons et d'époques immémorialement répétées. Comment les conceptions du scientifique Etienne Klein dialoguent-elles avec ces deux pensées? 

Comments

HarryTuttle said…
EDIT: ajout de la vidéo d'un commentaire d'Etienne Klein

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