Regarder (Desgoutte)
Énonciation visuelle
A la source de tout langage il y a le moment d'alternance ou de ponctuation qui fonde simultanement le sujet dans sa double fonction intersubjective (Je/Tu) et l'objet dans sa position tiers (Il), figure investie de la charge sémantique.
Ce moment, aisément identifiable dans l'échange verbal, est tout aussi manifeste dans l'échange visuel. Le sujet donne à voir comme il donne à entendre. Si le dialogue est un échange de propos, il est aussi échange de regards et de points de vue. La ponctuation des regards accompagne l'alternance des paroles. La proposition verbale (la phrase que Benveniste décrit comme étant l'unité de la linguistique de l'énonciation) trouve ainsi son parallèle dans le regard, défini comme l'unité de ponctuation de l'échange visuel.
Regarder, c'est constituer l'autre en image. L'image est la mémoire du regard. Elle se caractérise à la fois par un point de vue - le point de vue du sujet - et par un mouvement ou une intention, dotés d'une intensité ou encore d'une durée. L'image, comme tout message, propose à l'interprétation, en plus de son contenu référentiel (ou diégétique), l'acte de son énonciation. Le cadre marque la frontière qui sépare les différents univers qui s'y enchâssent.
Le cadre fonde l'image en instituant le sujet comme lieu de passage entre l'un et l'autre, l'ici et l'ailleurs, l'avant et l'après. Le dessin du cadre est également le geste inaugural de toute mise en scène. Il sépare l'espace de la scène de l'espace du public - le lieu de l'histoire du lieu du récit - puis, à l'intérieur même de l'espace scénique, le plateau de la coulisse.
Le verbe et l'image. Essais de sémiotique audiovisuelle, J. P. Desgoutte, 2003
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