Bruno Dumont on Mysticism
Interview de Bruno Dumont sur France Culture (25 Nov 2009) à propos d' Hadewijch (2009):
"Moi je comprends le cinéma quand je lis les Mystiques. C'est à dire quand je lis les visions, quand je lis les ravissements, quand je vis l'entretien des images, quand je vis la coïncidence des contraires, quand je vis les échelles mystiques. Ce degré de coupe, d'association d'images, des plans, c'est véritablement la matière même du plan. C'est à dire que les mystiques nous disent que c'est par l'apparence, c'est par la comparaison de l'extériorité des choses que le divin se manifeste.
Saint Thomas D'Aquin a parlé de la pluie par exemple, de la puissance de l'eau comme évocation justement de la présence de Dieu. Moi la présence de Dieu je ne peux pas la filmer. Je ne la filme pas. Je m'en garderais bien. Mais la pluie je peux la filmer. Et je sens bien quand je filme la pluie, je filme autre chose. Dans le cinéma il y a la présence et l'absence. C'est à dire que l'image évoque quelque chose d'autre que ce qu'elle montre.
Nous on est des mécaniciens. C'est une mécanicienne Julie [Sokolowski]. Elle fabrique, je fabrique de la maladresse, et vous voyez la fragilité. Mais nous on ne peut que travailler la maladresse. Je ne peux pas travailler la fragilité, ça me tombe des mains. Je ne peux pas faire ce travail-là. Il faut que je reste mécanicien.
Il faut que je brasse mes images. Il faut que je fasse mes plans, que je tourne ma caméra vers un saule pleureur et que j'espère que ce saule pleureur va transcender. Et cette transcendance c'est le regard qui va la faire. J'en suis persuadé. Moi je fixe le temps, le temps d'exposition de votre corps devant cette image et je fais le son, etc, mais si vous voulez, le miracle c'est le regard.
Et l'invisible c'est la contradiction quand vous dites que vous aimez, vous nous aimez pas... je suis persuadé de ça aussi. C'est à dire qu'on peut voir le contraire. Et c'est le contraire en fait, sa chasteté, qui évoque son érotisme. C'est la privation de son corps qui la rend plus désirable. Donc moi je ne peux pas filmer le désir. Je supprime son corps, je l'empêche, etc. Et vous voyez le contraire.
C'est ça qui est beau chez le spectateur, il est récalcitrant. Il est contradictoire et en filmant quelque chose il peut voir autre chose. C'est ça la mystique : ce lien entre les images et les corps. Vous avez un corps; j'ai un corps. Et l'image c'est aussi des corps filmés. Et ça brasse le secret, l'unité. C'est ça en fait la mystique, c'est l'Un.
Il y a une unité dans cette pâture. Et cette pâture est en moi. Quand je filme la pâture, je me filme à l'intérieur de moi, je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas m'atteindre sans ce champs. Et c'est ce champs qui m'amène à mon âme. Et si je peux pas faire autrement, je ne peux pas filmer mon âme. Ce serait idiot de ma part."
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