Sabouraud a minima (1)
Le cinéma a minima de Frédéric Sabouraud
Liste des articles :
Plusieurs questions se posent d'emblée au niveau de la méthode employée :
Pourquoi se limiter au genre de la "fiction cinématographique" quand parmi les plus grands artistes du cinéma le plus récent ont justement cherché à brouiller la frontière entre fiction et documentaire, documentaire et fiction? Quoique cette limitation est la moins grave. Jia Zhang-ke en particulier avec In Public (2001) / Plaisirs inconnus (2002) et Still Life (2006) / Dong (2006). Ou encore Tsai Ming-liang avec l'hommage docu-fiction à un cinéma fermé : Goodbye, Dragon Inn (2003); le court métrage expérimental Madame Butterfly (2008). Pour ne citer que les cinéastes choisis par Sabouraud.
Pourquoi quatre? Pourquoi ces quatre-là? C'est justement parce qu'il accorde à chacun un long article en profondeur, un par auteur, que l'on peut comprendre ce choix si restrictif. Mais on se demande s'il faut arrêter, avec la fin de cette série, la réflexion sur ce cinéma-là... Il rajoute en conclusion le nom d'Abbas Kiarostami dans le lot (en le privant toutefois d'un portrait mérité autant que les autres si ce n'est plus). Si l'on oublie les contraintes matérielles de cette série déjà longue, pour ma part, j'y vois un manque de perspective certain. Déjà on pourrait offrir en contrepoint l'article beaucoup plus inclusif (tant sur le plan géographique que stylistique) d'Antony Fiant dans ce même journal (“Des films Gueule de bois - notes sur le mutisme dans le cinéma contemporain” ; Trafic #50, été 2004) qu'il choisit de ne pas citer, bizarrement.
Puisqu'il fait ressortir le déclin maniériste de ce quarteron, on pourrait croire que ceux qui ont la chance de n'être pas nommés (Tarr Béla, Hou Hsiao-Hsien, Apichatpong Weerasethakul, Roy Andersson, Alexandre Sokourov, Pédro Costa, Nuri Bilge Ceylan, Lisandro Alonso, Carlos Reygadas, Sharunas Bartas, Lav Diaz, Darejan Omirbaev, Albert Serra, Semih Kaplanoglu, Bruno Dumont...) ne tombent pas, eux, dans les travers du "maniérisme exacerbé". J'ose l'espérer. Toutefois, ni les quatre élus, ni Kiarostami surtout, ne méritent d'être cloués au pilori si les autres sont épargnés. Ils ne sont certainement pas les plus irrécupérables du "genre".
On pourrait aussi comprendre qu'il décide, en conscience de cause, de faire l'impasse complète sur les autres cinéastes à tendance "minimaliste", en vue de définir ce "cinéma a minima" sorti de son vivier à l'échelle globale.
Pourquoi Gus van Sant aux USA (alors qu'il n'a fait que 3 films non-commerciaux, tous inspirés de Tarr Béla de son propre aveu! lire son éloge de Tarr datant de 2001, et traduit dans Trafic n°50, été 2004: "La caméra est une machine"), et pas Barney, Dorsky, Gallo, Lynch, Menkes, Reggio, Jost, Baillie ou Lockhart?
Pourquoi Hong Sang-soo en Corée du Sud, et pas Kim Ki-duk, Im Kwon-taek ou Lee Chang-dong?
Pourquoi Jia Zhang-ke en Chine, et pas Wang Bing, Wang Chao, Zhang Lu, Zhang Yuedong ou Wong Kar-wai?
Pourquoi Tsai Ming-liang à Taiwan, et pas HHH ou Edward Yang?
Il semble aussi vouloir utiliser cette théorie pour opposer "deux pôles d'une production cinématographique hantée par les mutations d'un hypercapitalisme urbain et mondialisé : L'Extrême-Orient et l'Amérique du Nord." Comme si l'émergence de ce cinéma minimaliste se jouait uniquement dans un antagonisme Est-Ouest...
Quid de l'Amérique du Sud? Pas un mot sur l'Argentine (Alonso, Martel, Sorin, Trapero), le Méxique (Reygadas, Escalante, Vargas), le Paraguay (Encina), l'Uruguay (tandem Rebella-Stoll).
Quid de l'Afrique? (Sissako, Haroun)
Quid du Moyen-Orient? (Suleiman, la famille Makhmalbaf, Panahi, Ceylan, Kaplanoglu)
Quid de l'Asie Centrale? (Omirbaev, Abdykalkov, Sarulu)
Quid de L'Asie du Sud-Est? (James Lee, Lav Diaz, Raya Martin, Ratanaruang, Weerasethakul, Jayasundara, Aravindan)
Quid du Japon? (Aoyama, Ichikawa, Kawase, Kitano, Kore-eda)
Quid de l'Europe de l'Est? (Sokourov -honoré par la Galerie du Jeu de Paume en ce moment!-, Zvyagintsev, Lungin, Tarr, Palfi, Fliegauf, Mundruczó, Bartas)
Quid de l'Europe de l'Ouest? (Andersson, Kaurismaki, Hamer, Hausner, Mader, Seidl, Kelemen, Köhler, Schanelec, Speth, Karmakar, Grisebach, Arslan, Angelopoulos, Costa, Serra, Recha, Cavalier, Delepine & Kervern, Denis, Dumont, Grandrieux, Klotz, Le Besco)
N'y a-t-il là aucun auteur majeur digne de figurer dans une étude sur la "fiction minimaliste"? Ou bien ne les a-t-il tout simplement pas vus? On est en droit de se demander si Frédéric Sabouraud a "la distance nécessaire pour poursuivre [sa] recherche" dans ce domaine avec de telles lacunes. S'il y a une certitude, c'est que le bilan n'est résolument pas "définitif".
Pour le moins, il fait le lien avec les précurseurs de la modernité au sens large (Antonioni, Rosselini, Cassavetes, Hellman) et ne manque pas de s'en détacher fermement (comme du néoréalisme italien) en parlant d'une "modernité d'un nouveau genre"! (voir son cours à Paris 8: "cinéma moderne, cinéma contemporain, passerelles...")
Quant aux accusations de "formalisme", provenant encore une fois d'une personne se prétendant "admiratif" de ce type de cinéma, elles sont ridicules. "Minimaliste, oui..." semblent-ils dire, "mais pas trop quand-même!" Je suis désolé, mais cette attitude ne ressemble pas du tout à une affection pour la nature-même qui constitue le caractère fondamental de ce cinéma. Le Minimalisme est par essence formaliste! C'est une épuration du contenu, c'est un travail sur la forme dans sa simplicité absolue. Que faire d'autre que de jouer avec la forme lorsque le fond est évidé?
La stylisation serait interdite à ces poètes du minima, quand elle devient la raison-même (la raison unique!) de s'intéresser au cinéma commercial dont le contenu est déplorable... Si maniérisme il y a, c'est à Hollywood (temple de la formatisation automatique) qu'il faut le déconstruire, non pas chez Tsai, Hong ou Jia (qui ont les coudés franches et pourraient se permettre un peu de complaisance stylistique si ça leur chante, justement parce qu'ils ont autre chose à dire que ça à côté!). Gus van Sant, d'accord, car c'était uniquement un passage dans sa carrière; pour lui ce n'est pas un engagement total de son œuvre comme celle de Tarr qui préfère s'arrêter que de passer au commercial...
Sabouraud souhaiterait voir plus de "cette matière vive" qui fait l'attraction des films auto-biographique. A défaut de quoi, les recherches formelles, quand bien-même navigueraient-elles les parages maniéristes, ne sont d'aucun intérêt à ses yeux. Tant pis pour les formalistes du Montage Soviétique! Il oublie que les grands auteurs savent transformer une répétition à tendance maniériste en style génial. La fragmentation, l'inexpression, l'ellipse de Bresson n'étaient-elles pas "maniéristes" d'après ce discours? Les points de vue "tatami", les plans de coupe vides d'Ozu n'avaient donc aucun charme formel malgré leurs incessantes réapparitions? Qualifier l'invention formelle d'un génie de la mise en scène de "maniérisme" est une preuve évidente de rejet. Les critiques à l'époque de Bresson et Ozu n'aimaient certes pas leur "stylisation" exagérée... qui se soucie de leur avis aujourd'hui? Je doute que le style personnel qu'ont développé Tsai, Hong et Jia (qui sont parmi les meilleurs créatifs du cinéma de notre époque) ne soit en aucun cas un défaut. Au contraire, cela fait partie intégrante de leur signature et ce sont des procédés parfaitement attendus au sein d'une esthétique minimaliste.
Un dernier point. Je regrette, comme toujours, qu'un tel discours sur le minimalisme ne puisse se passer de références constantes au langage par défaut qui semble-t-il structure toute pensée théorique sur le cinéma : la narration standard commerciale. Faut-il qu'on nous rabâche les oreilles avec des procédés "classiques" quand l'histoire du minimalisme pré-existe la venue du récit, quand il s'est développé en dehors de l'évolution industrielle, tant dans sa pensé (avant l'existence du cinéma) que dans sa forme (les frères Lumière filmaient des vues, non du théâtre). Sabouraud parle de "rarefaction", d' "annihilation", de "refus", "d'effacement", "se restreint", "s'empêcher", "cinéma sans solution"... comme s'il y avait un grand Tout, une pleinitude à l'origine de toute création cinématographique (flanqué de tous les artifices narratifs inventés par la tragédie, le roman, et Hollywood) et que pour atteindre le minima il s'agirait d'ôter des morceaux de la matrice "classique". Apparemment il est impossible de procéder à l'inverse, de créer à partir de rien en n'apportant que le nécessaire, sans s’astreindre à l'exercice fastidieux de dégraissage d'un produit déjà fini et revenir en arrière.
Considérer le minimalisme comme un cinéma de la soustraction est une mentalité pour le grand public!
Le minimalisme n'est pas un film narratif auquel il manquerait quelque chose... Quelle absurdité.
Remontons l'histoire de l'art (de la fiction minimaliste) aux haïkus de Bashô et à la peinture Zen, dont l'influence du langage hollywoodien n'y est pour rien. L'art du Mu se construit à partir de vide intérieur, de la page blanche, du silence qui sont en Orient des valeurs positives en soi, et non subordonnées au négatif d'un Plein-Positif comme en Occident. Que les spectateurs occidentaux sans culture ni mémoire appréhende le vide comme un manque se conçoit aisément. Mais qu'on tienne un discours sur l'art sans imaginer la possibilité-même d'un langage créatif alternatif qui ne doit rien aux artifices... Se débarrasser des procédés narratifs conditionnés par un siècle d'industrie commerciale est le lot des spectateurs, ce n'est pas l'affaire des cinéastes du minimal! Merci pour eux.
Pour finir, Visage (2009), de Tsai Ming-liang est loin d'être la risée de ce courant minimaliste, quelqu'en soit son appelation, "cinéma a minima" (pour ceux qui recherchent le récit), "cinéma contemplatif" (pour ceux qui recherchent le regard). Car je me rends compte que ces "familles" ne se superposent pas exactement. Cependant, même si je me plie aux critères définis par Sabouraud, la stylisation de Tsai Ming-liang n'y est ni plus ni moins intense que dans The Hole (1998) ou La Saveur de la Pastèque (2005). Je préfère sans hésitation Visage, à Goodbye, Dragon Inn (2003), de beaucoup supérieur à Paranoid Park (2007) par exemple, bien plus intéressant formellement que les premiers Jia Zhang-ke, étiquettés "années 60". Si telle est la preuve à conviction du "maniérisme a minima", (comme Bal / Miel l'est pour Sight & Sound) alors je m'inquiète pour la critique, non pour le cinéma.
Liste des articles :
- Tsai Ming-liang : l'épure et la manière. Le cinéma a minima, 1 (Trafic n°72, hiver 2009)
- Gus Van Sant : l'art du masque. Le cinéma a minima, 2 (Trafic n°73, printemps 2010)
- Hong Sang-soo : toute honte bue. Le cinéma a minima, 3 (Trafic n°74, été 2010)
- Jia Zhang-ke : le deuil en direct. Le cinéma a minima, 4 (Trafic n°75, automne 2010)
Tsai Ming-liang, Gus Van Sant, Hong Sang-soo, Jia Zhang-ke : ces quatre réalisateurs contemporains se distinguent par leur approche minimaliste de la fiction. La série de textes qui s'entame ici part de l'idée que l'heure serait venue de tirer quelques enseignements d'une forme cinématographique apparue au tournant du millénaire et fondée sur la raréfaction, voir l'annihilation des procédés fictionnels classiques tels que l'action comme moteur, la résolution comme point de mire, le rythme comme obsession, le mouvement des corps et les raccords des plans comme artifice, la manipulation du spectateur comme finalité. Le refus de recourir systématiquement à ces procédés - auquel le cinéma a minima préfère la lenteur, le vide, la frontalité, l'opacité, l'absence d'issue - est devenu marque de fabrique d'un certain nombre de cinéastes actuels au point d'en devenir parfois l' "image de marque". [..]Il propose de définir cette parcelle du cinéma contemporain, qu'il appelle "cinéma a minima" (pour ne pas dire "minimaliste"); en fait, il dresse quatre portraits séparés selon le modèle, désormais académique, de la critique centrée sur l'auteur, avec son herméneutique biographique, sa continuité stylistique de l'œuvre, son intertextualité cinématographique, et son jugement de la progression observable des capacités de l'auteur à se renouveler. Il ne déchiffre finalement pas l'identité de ce cinéma-là, transversal et transnational (comme je m'y attache sur ce blog) mais quatre fois le cinéma de chacun, individuellement, en notant les quelques points communs qu'ils peuvent avoir, et parfois pas tous en même temps... Ce qui apparaît nettement lors de son traitement indifférencié de l'œuvre complète de Gus van Sant (films minimalistes ou non), et les périodes Nouvelle Vague, documentaire et minimalistes de Jia Zhang-ke; les deux autres ayant une filmographie plus homogène du point de vue du minimalisme. D'où ma déception sur ce point (auteurisme individuel contre analyse formelle d'ensemble).
Et si l'on tente aujourd'hui d'en dresser le bilan - d'étape ou définitif, il est encore trop tôt pour le dire -, c'est qu'on sent bien que cette forme de fiction donne depuis quelque temps certains signes d'épuisement dont le maniérisme et l'obsession (auto)citationnelle du dernier film de Tsai Ming-liang, Visage, semble arborer les symptômes les plus flagrants. [..]
Plusieurs questions se posent d'emblée au niveau de la méthode employée :
Pourquoi se limiter au genre de la "fiction cinématographique" quand parmi les plus grands artistes du cinéma le plus récent ont justement cherché à brouiller la frontière entre fiction et documentaire, documentaire et fiction? Quoique cette limitation est la moins grave. Jia Zhang-ke en particulier avec In Public (2001) / Plaisirs inconnus (2002) et Still Life (2006) / Dong (2006). Ou encore Tsai Ming-liang avec l'hommage docu-fiction à un cinéma fermé : Goodbye, Dragon Inn (2003); le court métrage expérimental Madame Butterfly (2008). Pour ne citer que les cinéastes choisis par Sabouraud.
Pourquoi quatre? Pourquoi ces quatre-là? C'est justement parce qu'il accorde à chacun un long article en profondeur, un par auteur, que l'on peut comprendre ce choix si restrictif. Mais on se demande s'il faut arrêter, avec la fin de cette série, la réflexion sur ce cinéma-là... Il rajoute en conclusion le nom d'Abbas Kiarostami dans le lot (en le privant toutefois d'un portrait mérité autant que les autres si ce n'est plus). Si l'on oublie les contraintes matérielles de cette série déjà longue, pour ma part, j'y vois un manque de perspective certain. Déjà on pourrait offrir en contrepoint l'article beaucoup plus inclusif (tant sur le plan géographique que stylistique) d'Antony Fiant dans ce même journal (“Des films Gueule de bois - notes sur le mutisme dans le cinéma contemporain” ; Trafic #50, été 2004) qu'il choisit de ne pas citer, bizarrement.
Puisqu'il fait ressortir le déclin maniériste de ce quarteron, on pourrait croire que ceux qui ont la chance de n'être pas nommés (Tarr Béla, Hou Hsiao-Hsien, Apichatpong Weerasethakul, Roy Andersson, Alexandre Sokourov, Pédro Costa, Nuri Bilge Ceylan, Lisandro Alonso, Carlos Reygadas, Sharunas Bartas, Lav Diaz, Darejan Omirbaev, Albert Serra, Semih Kaplanoglu, Bruno Dumont...) ne tombent pas, eux, dans les travers du "maniérisme exacerbé". J'ose l'espérer. Toutefois, ni les quatre élus, ni Kiarostami surtout, ne méritent d'être cloués au pilori si les autres sont épargnés. Ils ne sont certainement pas les plus irrécupérables du "genre".
On pourrait aussi comprendre qu'il décide, en conscience de cause, de faire l'impasse complète sur les autres cinéastes à tendance "minimaliste", en vue de définir ce "cinéma a minima" sorti de son vivier à l'échelle globale.
Pourquoi Gus van Sant aux USA (alors qu'il n'a fait que 3 films non-commerciaux, tous inspirés de Tarr Béla de son propre aveu! lire son éloge de Tarr datant de 2001, et traduit dans Trafic n°50, été 2004: "La caméra est une machine"), et pas Barney, Dorsky, Gallo, Lynch, Menkes, Reggio, Jost, Baillie ou Lockhart?
Pourquoi Hong Sang-soo en Corée du Sud, et pas Kim Ki-duk, Im Kwon-taek ou Lee Chang-dong?
Pourquoi Jia Zhang-ke en Chine, et pas Wang Bing, Wang Chao, Zhang Lu, Zhang Yuedong ou Wong Kar-wai?
Pourquoi Tsai Ming-liang à Taiwan, et pas HHH ou Edward Yang?
Il semble aussi vouloir utiliser cette théorie pour opposer "deux pôles d'une production cinématographique hantée par les mutations d'un hypercapitalisme urbain et mondialisé : L'Extrême-Orient et l'Amérique du Nord." Comme si l'émergence de ce cinéma minimaliste se jouait uniquement dans un antagonisme Est-Ouest...
Quid de l'Amérique du Sud? Pas un mot sur l'Argentine (Alonso, Martel, Sorin, Trapero), le Méxique (Reygadas, Escalante, Vargas), le Paraguay (Encina), l'Uruguay (tandem Rebella-Stoll).
Quid de l'Afrique? (Sissako, Haroun)
Quid du Moyen-Orient? (Suleiman, la famille Makhmalbaf, Panahi, Ceylan, Kaplanoglu)
Quid de l'Asie Centrale? (Omirbaev, Abdykalkov, Sarulu)
Quid de L'Asie du Sud-Est? (James Lee, Lav Diaz, Raya Martin, Ratanaruang, Weerasethakul, Jayasundara, Aravindan)
Quid du Japon? (Aoyama, Ichikawa, Kawase, Kitano, Kore-eda)
Quid de l'Europe de l'Est? (Sokourov -honoré par la Galerie du Jeu de Paume en ce moment!-, Zvyagintsev, Lungin, Tarr, Palfi, Fliegauf, Mundruczó, Bartas)
Quid de l'Europe de l'Ouest? (Andersson, Kaurismaki, Hamer, Hausner, Mader, Seidl, Kelemen, Köhler, Schanelec, Speth, Karmakar, Grisebach, Arslan, Angelopoulos, Costa, Serra, Recha, Cavalier, Delepine & Kervern, Denis, Dumont, Grandrieux, Klotz, Le Besco)
N'y a-t-il là aucun auteur majeur digne de figurer dans une étude sur la "fiction minimaliste"? Ou bien ne les a-t-il tout simplement pas vus? On est en droit de se demander si Frédéric Sabouraud a "la distance nécessaire pour poursuivre [sa] recherche" dans ce domaine avec de telles lacunes. S'il y a une certitude, c'est que le bilan n'est résolument pas "définitif".
Pour le moins, il fait le lien avec les précurseurs de la modernité au sens large (Antonioni, Rosselini, Cassavetes, Hellman) et ne manque pas de s'en détacher fermement (comme du néoréalisme italien) en parlant d'une "modernité d'un nouveau genre"! (voir son cours à Paris 8: "cinéma moderne, cinéma contemporain, passerelles...")
Quant aux accusations de "formalisme", provenant encore une fois d'une personne se prétendant "admiratif" de ce type de cinéma, elles sont ridicules. "Minimaliste, oui..." semblent-ils dire, "mais pas trop quand-même!" Je suis désolé, mais cette attitude ne ressemble pas du tout à une affection pour la nature-même qui constitue le caractère fondamental de ce cinéma. Le Minimalisme est par essence formaliste! C'est une épuration du contenu, c'est un travail sur la forme dans sa simplicité absolue. Que faire d'autre que de jouer avec la forme lorsque le fond est évidé?
La stylisation serait interdite à ces poètes du minima, quand elle devient la raison-même (la raison unique!) de s'intéresser au cinéma commercial dont le contenu est déplorable... Si maniérisme il y a, c'est à Hollywood (temple de la formatisation automatique) qu'il faut le déconstruire, non pas chez Tsai, Hong ou Jia (qui ont les coudés franches et pourraient se permettre un peu de complaisance stylistique si ça leur chante, justement parce qu'ils ont autre chose à dire que ça à côté!). Gus van Sant, d'accord, car c'était uniquement un passage dans sa carrière; pour lui ce n'est pas un engagement total de son œuvre comme celle de Tarr qui préfère s'arrêter que de passer au commercial...
Sabouraud souhaiterait voir plus de "cette matière vive" qui fait l'attraction des films auto-biographique. A défaut de quoi, les recherches formelles, quand bien-même navigueraient-elles les parages maniéristes, ne sont d'aucun intérêt à ses yeux. Tant pis pour les formalistes du Montage Soviétique! Il oublie que les grands auteurs savent transformer une répétition à tendance maniériste en style génial. La fragmentation, l'inexpression, l'ellipse de Bresson n'étaient-elles pas "maniéristes" d'après ce discours? Les points de vue "tatami", les plans de coupe vides d'Ozu n'avaient donc aucun charme formel malgré leurs incessantes réapparitions? Qualifier l'invention formelle d'un génie de la mise en scène de "maniérisme" est une preuve évidente de rejet. Les critiques à l'époque de Bresson et Ozu n'aimaient certes pas leur "stylisation" exagérée... qui se soucie de leur avis aujourd'hui? Je doute que le style personnel qu'ont développé Tsai, Hong et Jia (qui sont parmi les meilleurs créatifs du cinéma de notre époque) ne soit en aucun cas un défaut. Au contraire, cela fait partie intégrante de leur signature et ce sont des procédés parfaitement attendus au sein d'une esthétique minimaliste.
Un dernier point. Je regrette, comme toujours, qu'un tel discours sur le minimalisme ne puisse se passer de références constantes au langage par défaut qui semble-t-il structure toute pensée théorique sur le cinéma : la narration standard commerciale. Faut-il qu'on nous rabâche les oreilles avec des procédés "classiques" quand l'histoire du minimalisme pré-existe la venue du récit, quand il s'est développé en dehors de l'évolution industrielle, tant dans sa pensé (avant l'existence du cinéma) que dans sa forme (les frères Lumière filmaient des vues, non du théâtre). Sabouraud parle de "rarefaction", d' "annihilation", de "refus", "d'effacement", "se restreint", "s'empêcher", "cinéma sans solution"... comme s'il y avait un grand Tout, une pleinitude à l'origine de toute création cinématographique (flanqué de tous les artifices narratifs inventés par la tragédie, le roman, et Hollywood) et que pour atteindre le minima il s'agirait d'ôter des morceaux de la matrice "classique". Apparemment il est impossible de procéder à l'inverse, de créer à partir de rien en n'apportant que le nécessaire, sans s’astreindre à l'exercice fastidieux de dégraissage d'un produit déjà fini et revenir en arrière.
Considérer le minimalisme comme un cinéma de la soustraction est une mentalité pour le grand public!
Le minimalisme n'est pas un film narratif auquel il manquerait quelque chose... Quelle absurdité.
Remontons l'histoire de l'art (de la fiction minimaliste) aux haïkus de Bashô et à la peinture Zen, dont l'influence du langage hollywoodien n'y est pour rien. L'art du Mu se construit à partir de vide intérieur, de la page blanche, du silence qui sont en Orient des valeurs positives en soi, et non subordonnées au négatif d'un Plein-Positif comme en Occident. Que les spectateurs occidentaux sans culture ni mémoire appréhende le vide comme un manque se conçoit aisément. Mais qu'on tienne un discours sur l'art sans imaginer la possibilité-même d'un langage créatif alternatif qui ne doit rien aux artifices... Se débarrasser des procédés narratifs conditionnés par un siècle d'industrie commerciale est le lot des spectateurs, ce n'est pas l'affaire des cinéastes du minimal! Merci pour eux.
Pour finir, Visage (2009), de Tsai Ming-liang est loin d'être la risée de ce courant minimaliste, quelqu'en soit son appelation, "cinéma a minima" (pour ceux qui recherchent le récit), "cinéma contemplatif" (pour ceux qui recherchent le regard). Car je me rends compte que ces "familles" ne se superposent pas exactement. Cependant, même si je me plie aux critères définis par Sabouraud, la stylisation de Tsai Ming-liang n'y est ni plus ni moins intense que dans The Hole (1998) ou La Saveur de la Pastèque (2005). Je préfère sans hésitation Visage, à Goodbye, Dragon Inn (2003), de beaucoup supérieur à Paranoid Park (2007) par exemple, bien plus intéressant formellement que les premiers Jia Zhang-ke, étiquettés "années 60". Si telle est la preuve à conviction du "maniérisme a minima", (comme Bal / Miel l'est pour Sight & Sound) alors je m'inquiète pour la critique, non pour le cinéma.
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