Hors Satan (Dumont)

Paysage
J'ai écrit après avoir longtemps marché dans la zone. J'ai choisi des emplacements, ensuite j'ai rédigé le scénario. J'ai besoin de cette puissance de la nature pour donner de l'intensité à des scènes où souvent il va se passer des choses très simples. [..]
Oui, la mise en scène vise à rendre visible la force qui émane de personnages et de situations qui en eux-mêmes sont souvent ordinaires, ou pourraient passer pour tels en étant filmés autrement... Ces rapports de force constituent l'art probable de la mise en scène elle-même. [..]
 Son
Tout est en son direct et « mono », ce sont exactement les sons correspondants à la prise, je ne les ai ni modifiés ni réenregistrés. Il y a des bruits que je ne désire pas, mais je les prends avec le reste, stoïquement - on entend même parfois les rails de travelling, ou la mise au point de l'objectif. Je ne travaille plus avec un monteur son, et il n'y a aucune post-synchro. La matière sonore est très riche, pas du tout domestiquée. Du coup, quand il y a du silence, on le sent bien et fort. [..]
 Style impressioniste
Oui, ma manière de filmer a changé, elle est plus composée. Jusqu'alors, j'avais tendance à considérer que l'intrigue et ses personnages primaient, et que l'équipe de réalisation devait suivre. Je ne fais plus ça. On y perdait beaucoup sur le plan de la qualité des plans. Il faut que le bien joué soit bien filmé. Cette fois la définition de ce qu'on allait voir était beaucoup plus ferme avant chaque prise ; par exemple, il y avait un grand nombre de marques au sol pour délimiter les mouvements des acteurs. Ça change leur façon de jouer, et ils sont « bien filmés », au sens où les angles, les points de vue sont les plus riches. Cette manière de tourner contribue à donner de la puissance à des plans où il se passe quelque chose qui en soi peut être très banal. [..]
La composition des cadres, par exemple la place de l'horizon, donne du tempérament au sujet. Cette approche - celle du style - était déjà celle des romans de Zola, ou des tableaux impressionnistes : l'idée que le sujet doit être simple, ordinaire, et que ce n'est pas là que ça se passe. C'est dans le déploiement de la peinture, ou de l'écriture (ou de la mise en scène) que la chose a lieu. [..]
Spiritualité ordinaire 
J'ai longtemps cherché comment filmer une telle situation d'une manière qui n'implique pas une relation à la religion. Je ne suis pas croyant, mon film ne contient l'exigence d'aucune autre foi que dans le cinéma. Puisque pour moi le cinéma c'est ce qui permet de faire place à l'extraordinaire dans l'ordinaire, et de laisser percevoir ce qu'il y a de divin chez les humains, de l'éprouver. C'est ce qui rapproche le cinéma de la mystique : la mystique dit « regardez la terre, vous verrez le ciel ». Eh bien le cinéma avec ses appareils peut faire ça. Et il n'y a plus besoin de religion pour autant. [..]
Il s'agit de se confronter à ce monde, et à la possibilité d'agir, pas d'aller prêcher ce qui est bien ou ce qui est mal. Le film ne fait pas la morale, il prend acte de gestes. Il est par-delà le bien et le mal, à sa manière. Et après, ça se passe dans le for intérieur de chacun : le film a vocation à susciter les réactions de chacun pour lui-même, pendant et surtout après le film, à partir des expériences éprouvées pendant qu'on le regarde. Je ne fais absolument pas un « cinéma d'idées », je fais un cinéma de sensations, à partir des paysages, des présences physiques, des sons.
extraits d'un entretien de Jean-Michel Frodon avec Bruno Dumont, à propos de Hors Satan (2011) [PDF]


Ecoutez:
  • On aura tout vu (France Inter) émission de radio 15 Octobre 2011 [MP3] 46' Christine Masson et Laurent Delmas interview Bruno Dumont pour Hors Satan
  • La Dispute (France Culture) émission de radio 18 Octobre 2011
  • Projection Privée (France Culture) émission de radio 22 Octobre 2011 [MP3] 60' Michel Ciment interview Bruno Dumont pour Hors Satan


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